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The logger

Extract of one of her typed booklets entitled "Charmois"
and intended for members of the family


It was the last one living in the small hamlet of Charmois, located all at the borders of the forest of Saint Dagobert ; he lived in the house which is now in ruins, but then, it had a window, a very disjoined gate of wood and a tiled foamy roof, with a tiny chimney.


Seldom was smoke leaving this chimney, but by this cold morning of Christmas, a very thin net of white smoke went up...And that put a little life in this corner of the country, so dull since the death of father Devillers and the old gamekeeper.

Lucien, le bûcheron, était un grand et robuste vieillard, au dos un peu voûté, à la démarche lente, avec un visage parcheminé, creusé de rides et de petits yeux gris un peu tristes.

A vrai dire, pendant des années, je ne le vis jamais que de loin, allant et revenant des bois, suivi de son chien, Touloute, un grand fox sans race. Il n' avait rien d'attirant, le pauvre Lucien, et sa façon de siffler de loin pour indiquer aux autres bûcherons le lieu du travail, avait quelque chose de presque sauvage.

Par ce matin de Noël, je ne sais ce qui me poussa à entrer chez lui. Il était assis sur une chaise basse, devant la grande cheminée. Il regardait le feu et quand j'entrai, seul Touloute tourna vers moi sa grosse tête et fit un léger grognement.

- Bonjour Lucien, bon Noël . . !

Il retira la pipe de sa bouche endentée, se leva péniblement et me montrant une chaise :
 
- Bonjour, et bonne fête de Noël... Si Mademoiselle veut bien s'asseoir, voici de quoi, et si elle ne veut pas, qu'elle me laisse m'asseoir, car moi, j'ai mes jambes des dimanches...
  
Je pris la chaise, et je compris de suite que, comme beaucoup de solitaires et de silencieux, Lucien lorsqu'il commencerait à parler n'en finirait plus, et que je n'aurais sans doute aucune question à faire pour entretenir la conversation.
Au bout d'un instant il reprit:

- Mes jambes des dimanches, que je disais, car les dimanches comme de juste, je ne vais pas à la forêt, et alors je bois un coup, et deux coups, et trois coups... et faudrait pas me faire aller trop loin...n'est-ce pas Touloute?... On restera. ici, tous les deux, on va faire un de ces petits feux qui durent, on regardera danser la flamme, on tisonnera un peu... Et puis après
on ira quand même voir nos sapins de Noël..
- Ah!... Mademoiselle ne sait pas?.. Bien entendu, elle se dit : Lucien, c'est rien qu'un coupeur d'arbres, un massacreur, c'est son métier, c'est sa vie! Mais je ne suis pas un bûcheron comme les autres, je voudrais, que je ne le pourrais pas!
- Déjà tout petit, je regardais les arbres, je les connaissais tous, j'aimais celui-ci, celui-là, c'étaient des amis... Il y avait même des jours où je leur causais, oui, comme je le dis, je leur causais, je leur racontais, je ne sais plus quoi, des choses, bien sûr j'étais jeune, et jamais personne à qui rien dire, alors on pense des bêtises, il y a des idées qui passent, quoi, on est comme tout le monde...
- Alors un jour, je dis à mon Père que je voulais être bûcheron, à cause des arbres,vous comprenez, pour qu'on ne coupe pas tous, pour qu'il en reste ...


Et ce fut le commencement de la vie;
je me donnais à fond. et je savais qu'on disait: Ce petit là, il raserait la forêt de Woèvre à lui tout seul...
Et je riais. car je voulais arriver à être le plus fort, le plus habile, le bûcheron que le maître prend avec lui
pour marquer les coupes, celui qu'on écoute, qui distribue le travail aux autres...
- Ah! quel beau jour, celui où je sauvai mon premier arbre ! C'était un matin, on avait passé
et repassé devant le grand chêne qui était condamné et je me rendais compte que cela n'irait pas tout seul, qu'il fallait agir vite. Voilà que je sens quelque chose là, qui me tenait dans la gorge. et tout à coup, j'entends ma voix qui dit à Monsieur :
- Ce grand chêne, là-bas, je le laisserais... Et Monsieur s'arrête :
 
-
Tu le trouves beau, Lucien ?

 qu'il me dit. - De voir qu'il prend la chose ainsi, çà me rend mon assurance, je parle, j 'explique, et je vois que
c 'est comme il devinait quelque chose, et il me dit :
 
- Oui, Lucien, tu as raison, on ne touchera pas à celui-là !
 
Depuis cette matinée-là, Mademoiselle, ce que je n'ai sauvé, et sauvé ! Ce n 'est pas sans peine, car avec les équipes de bûcherons, il faut parler, et jurer, et se battre quelquefois, et avoir l'œil ici et là, un peu partout...
Mais à présent, j'ai une bonne vingtaine de gros chênes dans la forêt, et des hêtres du côté de la Haie-colin, puis encore des bouleaux, droits comme des demoiselles, tout en haut de la Pièce du fief, j'ai des châtaigniers dans le bois de Lion, et puis, j'ai surtout mes sapins de Noël !

C 'est ce que, Touloute et moi, on n'a guère de fête, comme vous savez, mais quand vient
Noël, on y pense quand même!... Pas des regrets, comme de juste, - pour regretter, faut avoir eu et puis ne plus avoir - tandis que nous, on n'a jamais rien eu, alors on n'est pas sentimentaux, ni jalousants, et on se contente.

Mais, j'y reviens: c'était, il y a des années, Monsieur n'était pas marié, et j'allais avec lui pour choisir un sapin qu'on avait demandé pour faire l'arbre de Noël pour Mademoiselle Madeleine, la sœur de Monsieur, qui avait dans les 10 ans. Je dis:


-"Voilà le sapin pour Mademoiselle Madeleine"

 et j'ajoute, comme par plaisanterie:

- "Et puis, celui d'à côté, sera le mien! "

Alors, voilà que Monsieur s'approche de moi et qu'il me met la main sur 1'épaule, vous voyez, comme ceci, là sur
la veste, et qu'il me dit:


- "Tu n'as jamais eu ton beau Noël, toi, Lucien...Tu sais, il y a des gens qui n'en ont
jamais... Mais, c'est entendu, l'arbre d'à côté, c'est ton arbre, et chaque année tu en auras un, celui que tu voudras, un beau,
un très beau sapin ! Tu pourras le vendre, le couper, le brûler, ou le laisser debout si cela te chante! "

Et il me semble que la voix de Monsieur tremblait un peu, - mais il faisait si froid ce matin-là !
Je n'ai rien répondu, pas un mot, pas merci, rien... je crois même que je me suis retourné... Je ne sais plus....Mais
depuis ce Noël-là, chaque année j'ai mon sapin et maintenant ils sont si nombreux, ils ont tant poussé, que c'est
presque un bois...

Et tous ces arbres sont à moi, vous entendez, on ne les coupera jamais, tant que j'aurai des yeux pour voir je les
verrai là... C'est beau quand même, Mademoiselle ! Il n'y a pas beaucoup de gens, que je dis à Touloute, qui s'en
peuvent payer des fêtes pareilles, avec des vingtaines de sapins, et garnis encore avec de la neige, du gel,
du givre, des goutelettes, et tout...

Viens, mon Touloute, nous allons les voir, nos sapins de Noël, ils nous attendent... Et si Mademoiselle çà lui dit
quelque chose, elle peut venir aussi, elle verra comment ils sont et que je n'exagère pas !

Allons, faut pas avoir peur, je tiens encore sur mes jambes et je sais ce que je dis... et je dis que
sûrement pas un homme de chez-nous, ou d'ailleurs, n'a eu de fêtes comme moi, avec de beaux et grands arbres, solides,
des arbres qui ne plient pas, qui ne perdent pas une branche par la bise ou l'ouragan, qui vous ont des airs de grands seigneurs
 avec la tête haute...

Sa voix s'éraillait, se brisait...Il prit son bâton, ouvrit la porte ; l'air glacé me sauta au visage ... Et je suivis Lucien et Touloute...


Guilly d'Herbemont

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